Par Naomi Klein

En février 2021, l’arrestation de Disha Ravi, une militante écologiste de 22 ans, a marqué un tournant inquiétant dans la stratégie de répression numérique adoptée par le gouvernement indien. Accusée d’avoir participé à la diffusion d’un « toolkit » (document de soutien aux agriculteurs en lutte contre des réformes controversées), cette jeune activiste a été arrêtée, détenue sans réelle transparence et criminalisée pour avoir exprimé une opinion solidaire. Cet événement n’est pas isolé, mais s’inscrit dans une tendance plus large : celle d’une véritable guerre numérique engagée par le Premier ministre Narendra Modi et son gouvernement nationaliste hindouiste contre les voix dissidentes, en particulier les militants écologistes et les défenseurs des droits humains.

Sous couvert de maintenir l’ordre et de lutter contre de prétendues « menaces à l’unité nationale », les autorités indiennes utilisent désormais les outils numériques pour surveiller, censurer et discréditer les opposants. Les réseaux sociaux deviennent des terrains de chasse pour identifier les militants, traquer leurs communications, détourner leurs messages et les faire passer pour des ennemis de la nation. Cette stratégie s’appuie sur la complicité tacite ou active de certaines grandes entreprises technologiques de la Silicon Valley. En fournissant les plateformes mais aussi les infrastructures numériques — parfois sans opposer de véritable résistance aux injonctions de l’État indien — ces entreprises facilitent indirectement la surveillance étatique, la diffusion de discours haineux et la criminalisation des luttes sociales.

Ce glissement vers une répression numérique soulève de graves questions sur la liberté d’expression, la souveraineté numérique et la responsabilité éthique des géants du web. L’affaire Disha Ravi en est une illustration emblématique : une militante pacifique devient la cible d’un appareil d’État surarmé technologiquement, révélant les dérives d’une démocratie qui bascule, peu à peu, vers une forme de cyber-autoritarisme.